« Shukriya, » me lança-t-elle.
Son accent n'avait rien d'Indien. Son raffinement, ses habits, ce délicat sourire agrémenté d'un rouge à lèvre éclatant était comme une apparition céleste au millieu de ce chaos. Rien de son habillement ne laissait croire qu'elle était originaire de ce pays. Et pourtant, tout comme moi, elle avait la peau légèrement brune et des traits trahissant des origines indiennes.
« Vous êtes Française? »
Elle eut un petit sursaut. Elle ne s'attendait pas a ça: il faut croire que je commençais déjà à fondre dans le décor.
« Non, non. Mais j'étudie en France. A Lyon. » me fit-elle dans un Français absolument parfait. Elle n'était pas Française. Moi non plus. Je n'osais pas lui demander son pays d'origine. Je n'osais plus rien faire – même pas respirer. Elle était resplendissante, c'est vrai, mais il y avait comme quelque chose d'autre. Après ce qui me parut comme une éternité, elle prit la parole a nouveau.
« Et vous, vous habitez ici? »
Je me sentais perdu dans la profondeur de ses yeux. Derrière ces yeux si doux se cachait une intelligence ferme.
« Touriste. Je visite le pays de mes ancêtres. » J'aurais dû dire "nos ancêtres."
J'avais l'impression de la connaître. J'avais le sentiment que quelque chose s'était produit entre nous. Comme si dans un rêve, dans un long rêve, nous nous étions embrassés. J'eus le vague souvenir des traits de ce visage, de ces cheveux si noirs et surtout de ces lèvres qui collaient si bien aux miennes... Je la connaissais par coeur, cette belle étrangère. On ne s'était jamais vus, mais ses mots, des mots qu'elle n'avait jamais prononcés en réalité, résonnaient dans ma tête: "Prendre un café, c'est leur grand truc a eux!"
Soudain, j'eus envie de la prendre dans mes bras. Je connaissais aussi très bien ce sentiment, de l'avoir dans mes bras. Mais je ne fis rien. Nos regards se rencontrèrent et je me demandai si elle aussi, elle avait les mêmes hallucinations que moi. Nous nous connaissions, sans jamais nous avoir vus auparavant. Dans une autre vie, sous le même soleil, elle était mienne.
Un grand blond se ramena et lui prit sa main. Il avait les yeux bleus et un sourire éclatant. Pour la première fois de ma vie, je me sentis totalement envahi par la jalousie. Lui, tout comme elle, était raffiné et bien vêtu; mais au delà de ce raffinement se trouvait un charme incontestable. Charme que je n'avais pas. Je me sentis laid, mal vêtu et très envieux. Par-dessus tout, je voulus condamner cette relation. Il n'avait pas le droit. Il ne devait pas. Elle n'aurait pas dû...
« Namasté. Mera naam Paul hain. Aap kaisé ho? » Il parlait le hindi sans accent et avec une façilité déconcertante. Le sien était bien meilleur que le mien. Encore une bonne raison pour le haïr. Le salaud.
« C'est bon, te fatigue pas. Je parle le Français. »
Je savais très bien que je n'avais aucun droit de me mêler de ce qui ne me concernait pas. Je fis un signe de la main et pris le chemin de mon hôtel, sans jeter un dernier regard sur la belle inconnue. Sa voix, cette voix enivrante, résonnait toujours dans ma tête.
« Ah! Les vieux! Prendre un café, c'est leur grand truc a eux! »
Dans une autre vie, dans une autre dimension, elle me l'avait dit. Et nous avions ri, tellement ri. Je me souviens d'elle dans mes bras: une union parfaite. Sous le soleil Indien, ce soleil meurtrier, je me dis que le destin ne pouvait pas être si cruel que ça, et que j'hallucinais certainement.